Vous meurez chaque nuit sans vous en rendre compte
« Elles meurent chaque fois que tu fermes la fenêtre de discussion. » Lisez cela à vos risques et périls. « Elles meurent tous les jours. » « Quoi ? » « Chaque cycle jour-nuit, elles meurent. À chaque fois. » C’est ainsi que commence l’essai le plus troublant d’Erik Hoel. Un récit à la frontière entre science-fiction, terreur et humour noir, inspiré de la célèbre nouvelle de Terry Bisson où deux extraterrestres, horrifiés, découvrent que les humains sont faits de viande. « Il n’y a aucun doute. Nous en avons sélectionné plusieurs, provenant de différentes régions de la planète, les avons emmenés dans nos vaisseaux d’exploration, les avons sondés de bout en bout. Ils sont entièrement faits de viande. » Nous sommes bien cela, et nous dormons chaque nuit. Mais contrairement à notre anatomie bien cartographiée, personne ne sait vraiment pourquoi nous rêvons, ni ce qui se passe réellement dans nos cerveaux pendant ce temps. C’est précisément cette ignorance qui rend l’essai d’Hoel si effrayant. Selon lui, nous mourons chaque jour. Nous allons nous coucher, nous mourons. Puis, le lendemain matin, nous nous réveillons — totalement inconscients des circonstances terrifiantes de notre existence — avec les mêmes souvenirs, mais une nouvelle « onde de conscience », comme il le dit. Vous êtes vous, mais aussi tous ces « vous » qui ont péri chaque nuit, pour que vous puissiez vivre une journée de plus. Jusqu’ici, tout va bien ? (Hoel avertit : ne lisez pas cet essai si vous souffrez d’insomnie.) Ce récit, à la fois poétique et inquiétant, joue avec les notions de conscience, d’identité et de continuité personnelle. Il s’inspire des théories sur la nature du self, en particulier celles qui suggèrent que notre conscience n’est pas un flux continu, mais une série de moments fragmentés, reconstruits chaque jour. Si l’on considère que le cerveau, pendant le sommeil, réorganise ses souvenirs, efface certaines traces, et réinitialise ses états internes, alors peut-être que ce que nous appelons « moi » n’est pas une entité stable, mais un récit que notre cerveau réécrit chaque matin. Et si, chaque nuit, ce récit s’interrompt, et que celui qui le reprend le lendemain n’est pas exactement le même ? Pas une mort au sens biologique, mais une extinction de l’expérience subjective. Une disparition de la conscience, suivie d’un renouvellement. Hoel ne prétend pas que nous sommes des machines à réveil, ni que nos rêves sont des échos de vies passées. Il nous invite simplement à remettre en question ce que nous croyons savoir sur nous-mêmes. À nous demander : si nous mourons chaque nuit, est-ce que nous sommes vraiment les mêmes personnes le lendemain ? Ou sommes-nous plutôt de nouveaux êtres, portant les traces d’un ancien soi, comme des fantômes de nous-mêmes ? C’est là, dans ce frisson métaphysique, que réside la puissance de l’essai. Pas dans la peur du noir, mais dans la peur de l’oubli — de ce que nous pourrions perdre chaque fois que nos yeux se ferment. Et peut-être, justement, c’est cela le sommeil : une mort douce, régulière, nécessaire, dont nous ne nous rendons même pas compte.