Les Coûts Cachés de l'IA : L'Impact Environnemental et Social des Centres de Données aux États-Unis
Bilan des coûts véritables de l'IA Un paysage de centres de données en pleine expansion À coté d'une autoroute en Wyoming, un bâtiment carré et peu spectaculaire se dresse face à une immense prairie. Peint en vert-gris-brun, comme le font les concepteurs de Disneyland pour rendre invisibles certains éléments, ce bâtiment abrite cependant neuf énormes boîtes vertes, semblables à des camions semi-remorque. Il s'agit de systèmes de refroidissement destinés à conserver les serveurs qui alimentent divers services numériques, depuis la diffusion de vidéos en streaming jusqu'aux opérations de cryptomonnaie. C'est l'un des nombreux centres de données de Cheyenne, dans le Wyoming, qui forment le fondement d'une économie numérique moderne toujours plus gourmande en ressources. La course à la domination dans les technologies d'intelligence artificielle (IA) est féroce. Amazon, Microsoft, Meta et Google, filiale d'Alphabet, ont annoncé leur intention de dépenser au moins 320 milliards de dollars cette année pour construire et équipper des installations essentiellement dédiées à l'IA. Ces hyperscalers, comme on les appelle, symbolisent un pari colossal sur l'avenir de l'économie globale, un avenir dans lequel les algorithmes d'IA pourraient remplacer les médecins, prédire des catastrophes avec une précision surprenante, formuler des théories révolutionnaires, agir comme assistantes personnelles, enseigner aux enfants ou même offrir de la compagnie. "Cela nécessite la capacité de créer," explique Cortney Thompson, co-fondateur et chef de l'information à Lunavi, qui possède le centre de données de Cheyenne. "Qu'il s'agisse d'une plateforme tierce ou de votre propre infrastructure, vous devez disposer des ressources nécessaires pour créer et innover." Les coûts cachés de l'infrastructure numérique Bien que ces perspectives soient excitantes, le bilan des ressources utilisées par les centres de données est loin d'être rose. Selon une enquête menée par Business Insider, 40 % des centres de données américains sont situés dans des zones souffrant déjà de pénuries d'eau sévères, et certains de ces sites sont autorisés à consommer des millions de gallons par jour. Cette réalité souligne un problème majeur : la gestion des ressources naturelles n'est pas une préoccupation centrale pour les grandes entreprises technologiques. En parallèle, la consommation d'électricité des centres de données aux États-Unis pourrait bientôt dépasser celle de la Pologne, un pays de 36,6 millions d'habitants. Ce nombre pourrait tripler au cours des trois prochaines années, selon les estimations fédérales. Pour répondre à ces besoins, les centrales électriques devront maintenir en service d'anciennes unités de production polluantes, malgré les engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Les redevances payées par les citoyens se font également sentir. De nombreux gouvernements locaux, espérant transformer leurs villes en hubs technologiques avec des emplois bien rémunérés, accordent des exonérations fiscales massives aux géants de la tech. Par exemple, certaines villes de l'Ohio offrent des exonérations fiscales de 1 million de dollars ou plus par emploi permanent à long terme. Cela se traduit par des coûts substantiels pour les contribuables, qui subventionnent largement cette expansion. Analyse des impacts environnementaux Business Insider a réussi à obtenir et à analyser 1 240 permis de construction de centres de données aux États-Unis. Ces documents contiennent des informations précieuses sur la consommation d'énergie et d'eau, généralement inconnues du public. Le magazine estime que si Amazon construit tous les centres de données qu'elle a projetés, sa consommation annuelle d'électricité pourrait atteindre entre 30 et 48 térawatts-heures, soit environ autant que l'état du Nevada consomme en une année. Google et Meta n'ont pas répondu aux requêtes de Business Insider concernant les estimations de consommation d'énergie de leurs centres de données. Quant à QTS, il a décliné toute demande de commentaire. Microsoft a admis que ses centres de données "ne fonctionnent pas toujours à 100 % de leur capacité installée", mais a refusé de commenter davantage. Le refroidissement des unités de traitement graphique (GPU) utilisées par l'IA nécessite une grande quantité d'eau fraîche. En 2018, avant la vague de l'IA, les centres de données américains consommaient déjà 34 milliards de gallons d'eau par an, l'équivalent de la consommation quotidienne de l'État de Californie. En sept ans, la capacité des centres de données a doublé, exacerbant les problèmes de ressources. Malgré les promesses des entreprises de devenir neutres en eau ou de financer des projets de conservation, les risques demeurent. L'utilisation excessive d'eau pour le refroidissement peut entraver d'autres usages vitaux, comme l'approvisionnement domestique ou agricole, et les rejets d'eau des systèmes de refroidissement peuvent polluer les cours d'eau locaux. Par ailleurs, l'augmentation de la consommation électrique entraîne une élévation des factures d'électricité pour toutes les entités locales, qu'il s'agisse de foyers ou de grandes surfaces comme Walmart. Vers une solution durable L'avenir pourrait apporter des solutions plus écologiques. D'ici quelques années, des échangeurs thermiques plus efficaces pourraient résoudre le problème du refroidissement, tandis qu'un réseau électrique plus flexible ou une IA moins gourmande en énergie pourraient alléger les besoins en électricité. Certains fournisseurs d'énergie ont déjà commencé à investir massivement dans des infrastructures renouvelables. À proximité de Cheyenne, par exemple, un immense parc solaire est en construction, aux côtés de centaines d'éoliennes déjà en activité. Ces avancées technologiques promettent une réduction des impacts environnementaux, mais elles ne diminuent pas le débat sur l'équilibrage des coûts et des bénéfices. Les géants de la tech affirment que leurs efforts répondent à une demande croissante des consommateurs et des entreprises pour des technologies susceptibles de transformer non seulement nos applications et appareils, mais aussi notre société dans son ensemble. Si l'ère de l'IA s'avère être une révolution positive, le bilan pourrait finalement s'équilibrer. Sinon, les citoyens seront confrontés aux factures d'un futur qui n'aura pas vu le jour. Perspectives et évaluations de l'industrie Les experts de l'industrie s'accordent à dire que, bien que les risques environnementaux et sociaux soient réels, les avantages potentiels de l'IA sont considérables. "L'IA a le potentiel de révolutionner nos vies, mais elle doit être développée de manière responsable," affirme un spécialiste de la technologie. D'un autre côté, des organisations environnementales comme le World Resources Institute mettent en garde contre une approche aveugle de l'infrastructure des centres de données. "Il est crucial que les entreprises adoptent des pratiques durables et transparentes," souligne un représentant du WRI. Lunavi, par exemple, s'efforce de minimiser son impact environnemental en investissant dans des technologies vertes et en travaillant avec les communautés locales pour gérer les ressources de manière plus équitable. Avec ce bilan, les états et les régions doivent peser le risque environnemental et social contre les opportunités économiques. Si l'IA apporte les miracles attendus, les sacrifices actuels pourraient être justifiés. Néanmoins, une vigilance constante est nécessaire pour garantir que cette technologie fasse réellement avancer la société de manière éthique et durable.