Une IA conçoit automatiquement des médicaments sur mesure contre les mutations du cancer
Les méthodes traditionnelles de développement de médicaments consistent à identifier une protéine cible – par exemple un récepteur présent sur les cellules cancéreuses – puis à explorer un nombre énorme de candidats moléculaires susceptibles de se lier à cette protéine et d’en bloquer la fonction. Ce processus est long, coûteux et présente un taux de réussite faible. Des chercheurs de l’Université KAIST ont mis au point un modèle d’intelligence artificielle capable, à partir uniquement des informations sur la protéine cible, de concevoir des candidats médicaments optimaux sans nécessiter de données préalables sur des molécules connues. Cette recherche, publiée dans la revue Advanced Science, ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine de la découverte de médicaments. Dirigée par le professeur Woo Youn Kim du département de chimie, l’équipe a développé un modèle d’IA baptisé BInD (Bond and Interaction-generating Diffusion model), qui conçoit et optimise des molécules médicamenteuses spécifiquement adaptées à la structure d’une protéine, sans avoir besoin d’informations antérieures sur des composés capables de se lier. Ce modèle prédit également les mécanismes de liaison (interactions non covalentes) entre la molécule et la protéine cible. L’innovation principale réside dans son approche de conception « simultanée ». Contrairement aux modèles précédents, qui généraient des molécules puis évaluaient leur capacité à se lier à la protéine en deux étapes distinctes, BInD intègre dès le départ les interactions entre la molécule et la protéine dans le processus de génération. Cela permet une conception globale et optimisée en une seule étape, augmentant considérablement les chances de produire des molécules efficaces et stables. Le modèle prend en compte simultanément plusieurs critères essentiels à la conception de médicaments : affinité de liaison à la cible, propriétés pharmacologiques (« drug-like ») et stabilité structurale. À la différence des approches classiques qui optimisent souvent un seul objectif au détriment des autres, BInD équilibre ces paramètres, rendant ses résultats bien plus applicables en pratique. Le modèle repose sur une architecture de type « diffusion », un mécanisme génératif où une structure moléculaire est progressivement affinée à partir d’un état aléatoire – une approche similaire à celle utilisée dans AlphaFold 3, l’outil récompensé par le prix Nobel de chimie 2024 pour la prédiction des structures protéine-ligand. Toutefois, contrairement à AlphaFold 3, qui fournit uniquement les coordonnées spatiales des atomes, BInD intègre des règles chimiques réelles – comme les longueurs de liaison ou les distances optimales entre protéine et ligand – pour produire des structures chimiquement réalistes. Une autre avancée clé est une stratégie d’optimisation qui réutilise les meilleures configurations de liaison identifiées dans les itérations précédentes, sans nécessiter de reformation du modèle. Cette méthode a permis de générer des molécules capables de se lier de manière sélective aux résidus mutés du gène EGFR, une cible majeure dans le traitement du cancer. Cette étude représente une évolution significative par rapport aux travaux antérieurs de l’équipe, qui nécessitaient des données préalables sur les interactions moléculaires. Le professeur Woo Youn Kim affirme : « Ce nouvel outil d’IA peut apprendre les caractéristiques essentielles pour une liaison forte avec une protéine cible, et concevoir des candidats médicaments optimaux, même sans aucune information préalable. Cela pourrait transformer radicalement la manière dont les médicaments sont développés. » Grâce à sa capacité à générer des structures moléculaires fondées sur les lois de l’interaction chimique, cette technologie promet d’accélérer et de rendre plus fiable le processus de découverte de médicaments.